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Etats d'âme d'Idaho Première tournée européenne des Californiens magnétiques. Par ALEXIS BERNIER Le mardi 28 novembre 2000 |
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CD: «Hearts of Palm», Idaho music/import (disponible également sur le site http://www.idahomusic.com/). Concerts: le 28 à Nantes, le 29 à Bordeaux, le 30 à Dijon et les 1 et 2/12 à la Ginguette pirate à Paris. La venue d'Idaho pour la première fois en France est un événement... pour quinze personnes. Peut-on imaginer groupe «culte» plus confidentiel? Aucune maison de disques européenne n'a jugé bon de distribuer ses trois derniers albums. Quelques disquaires les importent au compte-gouttes et les rares fans font circuler l'info avec ferveur: «Hé! il en reste deux chez Gibert!» Misère. A l'écoute de Hearts of Palm, cinquième album de ce faux groupe californien, on ne peut que ressentir un profond sentiment d'injustice. On comprend l'horreur économique qui impose à un label de préférer signer un groupe médiocre qui a ses chances de décrocher la timbale, plutôt qu'un pauvre type génial qui ne vendra jamais un disque. Mais dans le cas d'Idaho, il y a quelque chose de profondément révoltant. Seul et maniaque. D'un autre côté, Jeff Martin n'y met pas du sien. Le fils de famille qui se cache derrière ce pseudonyme géographique est une caricature. Descendant indirect de Nick Drake et d'une interminable lignée de «chaussettes humaines» à guitares dépressives (Mark Kozelek...), il habitait encore voici peu chez ses parents, dans une riche demeure de Los Angeles. Depuis huit ans, son unique besogne consiste à remettre constamment le couvert mélancolique. Seul, après s'être fâché avec tous les intermittents d'Idaho, il confectionne, cloîtré dans sa cellule-studio dorée, des disques de ballades folk-rock effondrées, d'une tristesse soyeuse et d'une douceur crépusculaire. Des chansons chuchotées, minimales sans être décharnées, avec des arrangements électrocutés d'une finesse rare. Une orfèvrerie maniaque, mais jamais larmoyante ou complaisante, contrairement à tant de disques neurasthéniques. Découvert en 1993 avec le monument de chagrin Year After Year, Jeff Martin collaborait alors avec John Berry. Comme dans un épisode inédit du Riche et le Pauvre, feuilleton télé 70's où s'illustrait la gueule cassée Nick Nolte, John Berry, mauvais garçon drogué, ami d'enfance rapidement saqué, traumatisait son camarade avec des embrasements new-wave de feed-back convulsifs. Puis il y eut Dan Seta, guitariste-technicien avec qui Martin est censé avoir coproduit les autres disques, le dernier compris. Pourtant, on le croit volontiers quand il affirme qu'Idaho est «uniquement sa chose». De toute façon, Dan Seta est maintenant marié. Il a un bon boulot et ne peut partir en tournée. Désintoxiqué et légèrement bouffi, John Berry est de retour pour porter à bout de bras son ami quasi autiste. «Dan prenait de plus en plus de place. J'ai préféré sacrifier sa précision technique à la passion de John.» La semaine passée à Genève, Idaho donnait à quatre heures trente du matin un concert aussi erratique que bouleversant, devant une grappe de pochetrons et trois fans mal à l'aise. Jeff Martin passait son temps à accorder ses guitares à quatre cordes sous le regard inquiet de John Berry. Cette première tournée européenne a un côté dernière chance. Il ne faut pas la rater. Jeff Martin commente son évolution :
«Je n'ai jamais
été aussi confiant»
Par RECUEILLI A.B. |
«J'ai hérité du perfectionnisme de mon père
architecte. Je suis obligé de me fixer des limites. Pas plus de vingt
et un jours sur le même morceau.» | Genève envoyé spécial Chaussures d'ouvrier hors d'âge, pantalon en mauvaise toile beigeasse, cheveux mi-longs mal lavés, Jeff Martin, 36 ans, parle comme à son psy. Avec des emballements et de très légers bégaiements par instants. Le regard un peu fuyant. Chaleureux, il rit même pour annoncer que l'avant-dernier album d'Idaho s'est seulement vendu à quatre mille exemplaires dans le monde. «Ce qui est énorme pour un disque introuvable, sorti sans aucune promotion par un groupe qui ne donne pratiquement aucun concert.» L'âme damnée d'Idaho semble s'être juré de rester positif, même si, dans le fond, on sent bien que quelque chose ne va pas. Cette tournée est inespérée... Rien ne serait arrivé sans John Berry. C'est lui qui se bat pour réincarner Idaho. Ce qui est assez drôle, quand on songe que je l'ai viré il y a six ans à cause de son problème d'héroïne. Aujourd'hui, il est quasiment devenu mon manager. Il se lève tôt le matin et passe son temps sur l'Internet. Moi, je suis un peu feignant. Je n'ai jamais imaginé qu'une tournée intéresserait qui que ce soit. Et puis je ne suis pas un grand fan des concerts. Je suis trop maniaque. Quelle est la situation d'Idaho actuellement? Nous avons dû créer Idaho Music pour sortir le dernier album, vu qu'aucun label n'en voulait. Mais je ne suis pas bon pour faire ma propre promo. Si l'on ne vient pas me chercher, je reste dans mon coin. Comment vous en sortez-vous, financièrement? J'ai acheté ma propre maison sur les collines d'Hollywood grâce à l'argent que j'ai hérité de mon grand-père. J'ai longtemps vécu de ce pécule, mais il ne reste pratiquement plus rien. Il va falloir que je cherche du travail. Je n'arrive pas encore à me faire à cette idée. J'aimerais bien composer des musiques de films, mais je ne connais personne dans le cinéma. Je peux toujours louer mon studio ou produire d'autres groupes. Vous sentez-vous frustré, qu'Idaho soit uniquement un groupe culte? Oui et non. Je ne crois pas être capable de gérer une quelconque forme de succès. Il m'est déjà assez difficile de jouer devant une poignée de fans. Je n'aime pas être adulé. D'un autre côté, j'aimerais bien connaître un semblant de carrière. Gagner un peu ma vie avec la musique. Pour l'instant, Idaho me coûte de l'argent. Mais je sens que les choses vont changer. Je n'ai jamais été aussi confiant. Je crois deviner la lumière. Vos derniers albums semblent suspendus hors du temps et en même temps ils évoluent lentement. On note une apparition presque imperceptible de l'électronique... Je suis arrivé à une forme de minimalisme où des variations très subtiles suffisent à faire une grande différence. Je retire toute ornementation pour ne laisser que l'expression la plus pure de la musique. Mais, pour l'instant, mes morceaux sont encore uniquement basés sur la guitare, et je n'aime plus beaucoup ça, le blues, couplets-refrain. Je vais sans doute me rapprocher de l'electronica. Votre musique semble moins désespérée... J'étais beaucoup plus déprimé à l'époque du premier album. Mais ma musique reste introspective. Ce sont des parages dans lesquels il est dangereux de s'aventurer. J'ai été élevé dans une famille qui n'était pas très affectueuse, un milieu aisé et froid. Rien n'était jamais assez bien pour mes parents. Moi-même, je ne suis pas très doué pour exprimer mes sentiments. Les quelques relations amoureuses que j'aie réussi à avoir ont mal fini. Evidemment, la musique est pour moi une façon de vivre mes émotions sans peur ni honte. Sinon, je reste quelqu'un de retiré, de cloîtré, même. J'ai hérité du perfectionnisme de mon père architecte. Je suis obligé de me fixer des limites. Pas plus de vingt et un jours sur le même morceau. Drogue, confusion, déroute... les débuts d'Idaho ont été chaotiques. C'était il y a si longtemps... Je refusais de voir à quel point John Berry était enfoncé dans l'héroïne. Je savais dès la fin de l'enregistrement de Year After Year que je ne jouerais plus avec lui. Je l'ai peut-être trahi, mais on ne peut pas vivre avec un junkie. J'avais aussi mes propres problèmes... A l'époque du deuxième album, mes musiciens étaient aussi très borderline. Qui se ressemble s'assemble? Probablement. Je crois que j'ai longtemps été attiré par ces personnalités autodestructrices, ingérables. John a touché le fond; maintenant, il est devenu formidable. De toute façon, je n'ai besoin de personne pour faire des disques. Il y a souvent des cartes géographiques sur les pochettes de vos albums. Vous sentez-vous perdu? Peut-être bien... Disons que les cartes sont une façon de regarder la Terre sans vraiment en faire partie. Vous paraissez plus las à chaque album... Je n'aime plus ma voix quand je chante fort. Il m'arrive de chuchoter si doucement qu'il n'y a plus de pièce assez tranquille pour m'enregistrer. En concert, je suis bien obligé de chanter fort. Je retrouve l'énergie que j'aimais dans le rock quand j'ai découvert Jimi Hendrix. C'est quelque chose qu'on oublie quand on reste trop longtemps enfermé en studio. Je n'avais pas tourné depuis si longtemps... Je vais plutôt mieux. Je ne cherche plus de réponses qui n'existent pas, ni à satisfaire mes parents. Allez-vous continuer encore longtemps comme ça? Je pourrais faire des disques éternellement, car je sens que je n'ai dévoilé que la pointe de l'iceberg. On verra. Peut-être que j'aurai la chance qu'une de mes chansons soit choisie pour une pub... De toute façon, je trouve que ça vaut le coup de continuer. |